Alooooha!
Dans le domaine de la photographie professionnelle, il arrive souvent qu’on se fait dire plusieurs phrases du genre :
« Bah, ce n’est pas du travail peser sur un bouton, va donc te trouver une vraie job! »
« Quelle belle photo, tu as un très bon appareil photo! »
« Wow, toute une image, tu as été chanceux! »
Ce qui suit se veut un texte pour remettre certaines pendules à l’heure, sans toutefois déverser un flot de rancune ou d’agressivité. Cet exercice a la prétention d’être avant-tout explicatif, d’agir à titre informatif sur ce que le « facteur chance » a à avoir dans le travail photographique. Tout d’abord, oui c’est une vraie job, il y a une différence entre prendre une photo et faire une photo, mais je ne m’étalerai pas sur cet aspect des choses aujourd’hui. Je ne parlerai pas non plus du fait que peu importe le kodak qu’il ou elle a entre les mains, le pro va réussir des images extraordinaires, alors que le commun des mortels peu importe le kodak qu’il a entre les mains ne garantit pas la réussite d’une image.
Je vais plutôt m’étendre sur le facteur chance en vous présentant 5 situations qui m’ont amené des commentaires sur la chance que j’ai eu avec mes photos.
1 – Le renard : Cette photo a été prise en janvier 2014, vers 16h20 et il devait faire – 30 C… Moi et ma conjointe venions d’arriver dans le petit chalet EXP* que nous avions loué pour le week-end et malgré le froid polaire et après une longue hésitation, nous avons décidé de prendre une marche. Après tout, on s’est retrouvé volontairement dans le bois, autant en profiter. Nous avions marché environ 15 minutes sur le chemin quand ce renard est sorti de la forêt à quelques mètres de nous. Nous avons arrêté de bouger pour l’observer et il a traversé le chemin à nos côtés, sans trop se soucier de notre présence. Oui, j’ai été chanceux de croiser le renard (heure, lieu, etc) MAIS si je n’étais pas allé passer le week-end dans la forêt Boréale, si je n’étais pas sorti à cause du froid intense et si je n’avais pas apporté ma caméra, et bien je n’aurais jamais pu photographier ce renard. Je ne suis pas photographe de faune, mais je sais qu’il faut être patient et attendre des heures ou des jours pour avoir des photos d’animaux sauvages qui sont publiables. On a tendance à oublier le temps passé à attendre d’avoir LA photo.
2 – Le soleil à travers la vague hawaïenne : Cette image a été prise un matin de juin 2012 autour de 6h05 à Sandy Beach. J’avais pris rendez-vous avec un photographe local pour qu’il me fasse faire un tour des endroits photogéniques de l’île hawaïenne d’Oahu. Nous étions cinq à faire ce trajet avec le photographe et il m’avait embarqué à bord de sa camionnette à 5h30 du matin pour aller photographier le lever du soleil. J’étais le seul du groupe à quelques pieds de l’eau, perché sur les roches et ça m’a pris quelques vagues et beaucoup d’éclaboussures pour enfin avoir LA shot. J’étais détrempé mais bien content d’avoir eu le clic que je voulais. Bref, non seulement je me suis levé extrêmement tôt, j’ai booké et fait des recherches sur les photographes locaux, je me suis exposé aux éléments et j’ai « payé le prix » pour avoir la photo que je voulais.
3 – Le saut de motoneige : Il est très difficile de shooter des évènements sportifs, car on doit avoir un maximum de lumière afin de figer le sujet en shootant avec une vitesse d’obturation élevée. Le défi est d’autant plus grand lorsque le dit événement sportif a lieu la nuit, sans éclairage adéquat pour la photo. Ma chance dans cette photo se situe surtout dans le fait que j’ai été synchro avec le flash au sol d’un photographe posté en face de moi. Sinon, mon point de vue différent (j’étais le seul qui a décidé de faire dos au stade olympique et donc ne pas l’avoir dans ma photo. Anyway il faisait trop sombre pour avoir le stade clair, net et bien éclairé), le mouvement de l’athlète et le sujet en tant que tel (Compétition de sauts en motoneige au festival Barbegazi) sont en soi assez simple à ajouter dans l’équation. Plus on sort shooter, plus on favorise notre chance que quelque chose d’intense se produise.
4 – Le pont Jacques-Cartier vide : Hyper simple, un seul mot : s’informer. Non, je n’ai pas attendu qu’il n’y ait plus de trafic sur le pont, non je n’ai pas été chanceux qu’il n’y ait aucun véhicule sur le pont, j’étais seulement au courant que c’était le marathon de Montréal en ce 25 sept. 2011. Le pont vide n’a été le fruit qu’un levé très tôt et une marche le long de la piste cyclable sur le pont. Zéro chance, juste une connaissance des évènements du week-end à Montréal.
5 – Le Taj Mahal bien enligné : Bien souvent je me fait remarquer que ma photo du fameux Taj Mahal est symétrique. J’avoue que je trouve ahurissant le nombre de photos publiées du Taj (livres, magazines, affiches, etc) qui montrent celui-ci devant le bassin avec les fontaines en angle. Pourtant si les fontaines sont parfaitement enlignées, la photo est bien meilleure, elle ne donne pas l’impression d’avoir été saisie à la va vite. J’ai dû me battre deux fois pour avoir cette photo. D’abord j’ai plaidé que le Taj Mahal prend la couleur du soleil lorsqu’il est éclairé par celui-ci (ex : en plein midi le Taj est blanc, mais en soirée il devient orangé) et donc le groupe avec lequel j’étais a décidé à majorité d’y faire un tour en soirée (j’étais en Inde pour un contrat; suivre un groupe et les photographier lors de leur voyage en Inde). Une fois rendu sur place, je ne suis pas le seul qui voulait immortaliser le Taj devant le bassin. Je me suis donc mêlé à la foule et j’ai joué du coude pour atteindre le fameux spot bien au centre du bassin. Lorsque celui-ci s’est enfin libéré, j’ai fait ma place et j’ai pris mon 30 secondes pour shooter et m’assurer que j’avais LA photo. Avoir tourné les coins ronds, j’aurais pris le Taj Mahal mal enligné. Bref, je me suis imposé.
Tout ça pour dire que chaque photo cache une histoire, des efforts pour arriver à nos fins, des connaissances techniques, géographiques, culturelles et générales qui font en sorte que nos photos en sont encore plus belles et spectaculaires. Derrière le photographe se trouve non seulement une passion, mais aussi une volonté de fer et une force qui lui permet d’avoir des photos réussies non pas à cause de l’appareil ou de la chance qu’il a de se trouver au bon endroit au bon moment; il s’est de lui même rendu à cet endroit, il n’est pas arrivé là par hasard.
Il en est de même pour plusieurs métiers créatifs ou d’entrepreneurs, car derrière la création et l’entrepreneuriat, il y a un chemin parsemé d’embûches et d’obstacles que le créateur ou entrepreneur a parcouru et surmonté. Pensez-y lorsque vous analyserez et commenterez le travail de quelqu’un, peu importe le milieu.
Bref, malgré tout, j’adore mon métier et jamais cet aspect de la job ne me fera regretter quoi que ce soit!
* chalets EXP de la Sépaq > https://www.sepaq.com/hebergement/chalet/chalet-exp.dot